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Bent Van Looy

Au Parc de La Ville d'Anvers


Photographié par Charlie de Keersmaeker

 

Viendriez-vous vous promener au parc


À l’instar de New York, Anvers possède son propre poumon vert, certes infiniment plus petit. Le Stadspark, ou Parc de la Ville, bien que modeste en taille, ne manque pas de charme : un grand étang peuplé de cygnes, un pont suspendu romantique en fonte et quelques formations rocheuses torsadées, visiblement artificielles.

Ce havre de verdure fut aménagé quelques décennies seulement après la fondation de la Belgique en 1830, car les citoyens d’une jeune nation moderne ne pouvaient se passer d’un coin de nature spectaculaire – même factice – pour se promener et se détendre. Ce que j’aime dans les parcs en général, et dans celui-ci en particulier, c’est qu’ils sont à peu près les seuls endroits où tout le monde se mélange naturellement : riches et pauvres, jeunes et vieux, locaux de naissance ou nouveaux arrivants.

Sous les immenses hêtres – ils doivent avoir près de deux cents ans –, je vois des familles indiennes en tenue de cricket, encourageant à pleine voix un garçonnet filant sous la canopée un dimanche matin. Les Indiens sont arrivés ici au début des années 1990 pour travailler dans les ateliers de diamants florissants autour du parc, sur les traces des hassidim imposants, venus d’Europe de l’Est plusieurs décennies plus tôt. On les voit marcher à l’ombre, près du pont, en culottes noires strictes, chaussettes montantes et longs manteaux , penchés sur des poussettes, en route vers le bac à sable.

Pendant ce temps, sur la bordure herbeuse autour de l’étang, des étudiants de mode, barbus et à lunettes, sirotent leur café froid et croquent dans un sandwich Martino (un petit pain léger garni d’américain préparé, un tartare de viande, de pickles et d’une sauce aux anchois bien relevée) pendant leur pause déjeuner. Non loin de là, de jeunes Marocains et des quadragénaires pâles traînent autour des structures en béton du skate park. Je me souviens venir ici avec ma mère, à l’époque où nous vivions tout près, dans une minuscule maison attenante à une école Steiner pour enfants handicapés, où elle enseignait. Nous restions assis des heures sur un banc, à observer les rituels de séduction grotesques des canards mandarins aux plumages extravagants. C’est dans ce parc que j’ai compris que je faisais partie d’une communauté bien plus vaste que la bulle protégée dans laquelle j’avais grandi. 

Un parc reflète l’âme même d’une ville, et Anvers en possède une particulièrement fière. Ses habitants, les Sinjoren (du mot « seigneurs », vestige de l’occupation espagnole au XVIIe siècle), aiment à s’imaginer vivre dans une véritable métropole, voire au centre du monde, une sorte de mini Big Apple avec son propre petit Central Park. Les immeubles majestueux qui bordent le Stadspark témoignent de cette parade quotidienne de flâneurs bruyants, travailleurs et hédonistes.  

"All the people 

So many people 

And they all go hand in hand 

Hand in hand through their parklife" 


Parklife, Blur, 1994